celle qui prévient les besoins d’une âme délicate et
sensible ; enfin, avec cette seule bonté, il serait aimé
à la folie de ses amis et béni par tout ce qui souffre.
Avec cette bonté il pourrait se passer de sensibilité :
eh bien, il est d’une sensibilité profonde, et ce n’est
point une manière de parler. Il est malheureux du
malheur de ses amis, il souffre de leurs maux, et
cela est si vrai que son repos et sa santé en sont souvent altérés. Vous croiriez peut-être, comme Montaigne, qu’une telle amitié peut se doubler et jamais
se tripler ? M. de Condorcet dément absolument la
maxime de Montaigne : il aime beaucoup, et il aime
beaucoup de gens. Ce n’est pas seulement un sentiment
d’intérêt et de bienveillance qu’il a pour plusieurs
personnes : c’est un sentiment profond, c’est
un sentiment auquel il ferait des sacrifices, c’est un
sentiment qui remplit son âme et occupe sa vie, c’est
un sentiment qui, dans tous les instants, satisfait le
cœur de celui de ses amis qui vit avec lui. Jamais
aucun d’eux n’a pu désirer par delà ce qu’il lui donne,
et chacun en particulier pourrait se croire le premier
objet de M. de Condorcet.
Mais j’écrirais un livre, et ce ne serait plus un portrait, si je continuais de détailler les effets de toutes ses qualités. Il y en a que je me contenterai d’énoncer. Par exemple, je dirai que son âme est noble et élevée, qu’elle est ennemie de l’oppression, qu’elle méprise les esclaves et hait les tyrans, qu’elle ne connaît ni l’intérêt ni l’envie. Je dirai que son âme est grande et forte ; elle sait souffrir et non plier. Les privations de la pauvreté ne sont rien pour lui,