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A SA FILLE.


trouve naturel et juste tout ce qui lui convient, injuste et bizarre tout ce qui la blesse ; qui crie au caprice et à la tyrannie, si un autre en la ménageant s’occupe un peu de lui-même.

Ce défaut éloigne la bienveillance, afflige et refroidit l’amitié. On est mécontent des autres, dont jamais l’abnégation d’eux-mêmes ne peut être assez complète. On est mécontent de soi, parce qu’une humeur vague et sans objet devient un sentiment constant et pénible dont on n’a plus la force de se délivrer.

Si tu veux éviter ce malheur, fais que le sentiment de l’égalité et celui de la justice deviennent une habitude de ton âme. N’attends, n’exige jamais des autres qu’un peu au-dessous de ce que tu ferais pour eux. Si tu leur fais des sacrifices, apprécie-les d’après ce qu’ils te coûtent réellement, et non d’après ridée que ce sont des sacrifices : cherches-en le dédommagement dans ta raison, qui t’en assure la réciprocité, dans ton cœur, qui te dira que même tu n’en aurais pas besoin.

Tu trouveras alors que, dans ces détails de la société, il est plus doux, plus commode, si j’ose le dire, de vivre pour autrui, et que c’est alors seulement que l’on vit véritablement pour soi-même.

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