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CONSEILS DE CONDORCET


L’âme se dessèche, se flétrit, s’aigrit même. On perd le plaisir d’aimer ; celui d’être aimé est corrompu par l’inquiétude, par les douleurs secrètes, que trop de facilité à se blesser reproduit sans cesse.

Ne te borne point à ces sentiments profonds qui pourront t’attacher à un petit nombre d’individus ; laisse germer dans ton cœur de douces affections pour les personnes que les événements, les habitudes de la vie, tes goûts, tes occupations, rapprocheront de toi.

Que celles qui t’auront engagé leurs services, ou que lu emploieras, aient part à ces sentiments de préférence qui tiennent le milieu entre l’amitié et cette simple bienveillance par laquelle la nature nous a liés à tous les êtres de notre espèce.

Ces sentiments délassent et calment l’âme, que des affections trop vives fatiguent et troublent quelquefois. En défendant d’affections trop exclusives, ils préservent des fautes et des maux où leur excès pourrait exposer. Le sort peut nous ravir nos amis, nos parents, ce que nous avons de plus cher ; nous pouvons être condamnés à leur survivre, à gémir de leur indifférence ou de leur injustice ; nous ne pouvons les remplacer par d’autres objets ; notre âme même s’y refuse : alors ces sentiments, en quelque sorte secondaires, n’en remplissent pas le vide, mais empêchent d’en sentir toute l’horreur. Ils ne dédommagent pas, ils ne consolent même pas ; mais ils émoussent la pointe de la douleur, ils adoucissent les regrets, ils aident le temps à les changer en cette tristesse habituelle et paisible, qui devient presque