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ÉPÎTRE

D’UN POLONAIS EXILÉ EN SIBÉRIE

A SA FEMME [1].


(Décembre 1793.)


Séparateur


Pour la septième fois renaît cette journée
Qui vit à tes beaux jours unir ma destinée ;
Je n’ai point par des vers célébré mon bonheur ;
De ce dépôt sacré je nourrissais mon cœur.
Mais on aime à parler sitôt qu’on est à plaindre ;
On charme ses douleurs en songeant à les peindre.
Ne crains pas que jamais je succombe à mon sort ;
Je puis le soutenir : je n’ai point de remord.
Ils m’ont dit : Choisis, d’être oppresseur ou victime.
J’embrassai le malheur et leur laissai le crime.
Mais je vis loin de toi, de toi, de mon enfant,
Dont le naïf amour et le souris touchant
De mes yeux abattus ranimaient la faiblesse.
Je ne veux affliger ni flatter ta tendresse :
Viens souffrir de mes maux et lire dans mon cœur.
Sur un frêle navire un triste voyageur,
Parcourant au hasard une mer orageuse.
Entend mugir des vents la voix tumultueuse ;
Dans un calme stupide il attend que le sort
Le plonge dans l’abîme ou le ramène au port :
Ses amis, ses enfants, une épouse adorée.
N’existent plus pour lui qu’au fond de sa pensée ;

  1. Il est presque superflu d’avertir que cette épître s’adresse à madame de Condorcet, mariée en 1787. Condorcet était proscrit, réduit à se cacher, lorsqu’il composa ces vers.