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FRAGMENT DE JUSTIFICATION.


ple crurent un moment que ces violences placeraient l’Assemblée entre le danger de lui désobéir et la honte de lui céder. Ils se trompaient : en une heure le peuple sentit les motifs de ses représentants, et vit qu’ils avaient fait tout ce que leur permettaient leurs pouvoirs, tout ce qu’exigeait le salut public.

J’exposai ces motifs dans deux adresses successives [1], qui furent répandues dans toute la France, et qui peut-être contribuèrent à la réunir autour de l’Assemblée nationale. J’y ai dit du moins la vérité, sans flatterie pour le peuple, et sans colère contre les traîtres et les tyrans.

On m’a reproché d’avoir donné ma voix à Danton pour être ministre de la justice. Voici mes raisons. Il fallait dans le ministère un homme qui eût la confiance de ce même peuple dont les agitations venaient de renverser le trône ; il fallait dans le ministère un homme qui, par son ascendant, pût contenir les instruments très-méprisables d’une révolution utile, glorieuse et nécessaire ; et il fallait que cet homme, par son talent pour la parole, par son esprit, par son caractère, n’avilit pas le ministère ni les membres de l’Assemblée nationale qui auraient à traiter avec lui. Danton seul avait ces qualités : je le choisis et je ne m’en repens point. Peut-être exagéra-t-il les maximes des constitutions populaires, dans le sens d’une trop grande déférence aux idées du peuple, d’un trop grand emploi dans les affaires, de ses mouvements et de ses opinions. Mais le prin-

  1. Tome X, p. 545 et 565.