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FRAGMENT DE JUSTIFICATION.


appelait la minorité de la noblesse, et je devins l’objet de leur haine commune.

Telle était ma position vers le mois de mai 1791. Je m’aperçus alors, et je n’étais pas le seul, qu’au milieu des querelles de ces deux factions, il se tramait un complot contre la liberté. Quel était ce complot ? Je l’ignorais. Mais les factieux perdaient leur ascendant sur les Jacobins ; mais cette société renfermait un noyau vraiment précieux d’hommes dévoués à la liberté ; mais l’esprit qui l’animait était un esprit vraiment populaire : c’était là le parti du peuple, et je m’y réunis.

J’imaginai alors qu’il serait possible de former une association nombreuse de citoyens qui, convenant entre eux de ne jamais souffrir ni le rétablissement d’aucune distinction héréditaire quelconque, ni la moindre atteinte à l’unité du corps législatif, détruiraient les espérances de ceux qui désiraient ressusciter la noblesse, et de faire créer une seconde chambre : tandis que, d’un autre côté, les adhérents nombreux à ces principes calmeraient le peuple, qu’on agitait en lui inspirant la crainte de voir réaliser ces projets. M. l’abbé Sieyès approuva cette idée ; et comme alors quelques membres très-populaires de l’Assemblée constituante avaient le projet d’une division du corps législatif en deux sections, qui délibéreraient séparément, mais qui, en cas de contrariété d’opinion, se réuniraient pour délibérer et prononcer ensemble, il crut qu’il fallait ne pas confondre cette institution avec celles qui détruisaient l'unité, et il rédigea, d’après cette idée très-juste,