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DISCOURS DE M. DE CONDORCET.


milieu d’une longue suite de siècles condamnés à l’erreur et à la misère. Périclès vivait encore quand les Athéniens chassèrent de leur ville Anaxagore, convaincu d’avoir osé dire le premier que le soleil était un globe de feu, et qu’une intelligence avait présidé à la formation du monde. Bientôt après, dociles à la voix d’un vil farceur, ils condamnèrent Socrate à la mort. Chez les Romains, à peine un empereur vertueux a-t-il fermé les yeux, qu’un indigne successeur, s’empressant d’étouffer les dernières lueurs de la raison, livre l’empire à la tyrannie de l’ignorance et de la superstition.

C’est qu’alors les lumières étaient le partage de quelques hommes privilégiés, choisis dans un seul peuple. Aujourd’hui elles ont pénétré dans toutes les classes de la société ; elles se sont répandues chez toutes les nations. Chaque peuple exposé à la censure de tous les autres, et contenu par l’opinion commune de l’Europe, ne peut plus ni se livrer à ces excès honteux, ni éteindre un flambeau que ses voisins auraient bientôt rallumé. Nous ne reverrons plus ces jours où Gerbert, Roger Bacon étaient regardés comme des magiciens, parce qu’ils avaient entrevu quelques demi-vérités ; où Galilée, couvert de gloire et d’années, condamné à une prison perpétuelle, était contraint d’abjurer les vérités qu’il avait découvertes ; où l’indigence obligeait Kepler à faire des horoscopes ; où Descartes, achetant par un exil volontaire le droit d’instruire les hommes, trouvait encore des Voëtius même dans le pays de la liberté ; où le spectacle des maux causés par l'into-