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A L’ACADÉMIE FRANÇAISE.


mémoire ; et, par un sentiment d’amitié qui fermait ses yeux sur tout autre intérêt, il daignait se féliciter que le sort m’eût confié cet emploi douloureux. Il oubliait ses maux, et sortait de son abattement pour s’intéresser à ces expériences qui ont ouvert un nouvel élément à l’activité des hommes. Il versa quelques larmes sur la perte de l’illustre Euler, en voyant avec tranquillité qu’il allait suivre bientôt le seul de ses rivaux que la postérité, plus impartiale et plus éclairée que les contemporains, osera peut-être placer à côté de lui. Mais je sens, Monsieur, que je m’arrête trop longtemps sur ces détails si cruels et si chers. Accoutumés tous deux à regarder son amitié comme une partie de notre bonheur, liés par le sentiment qui nous unissait à lui, et maintenant par celui d’une douleur commune, nous pourrions, dans un entretien solitaire, adoucir nos peines par le plaisir de nous en occuper sans partage ; mais les pleurs de l’amitié doivent couler dans le silence, tandis que l’Europe retentit des regrets des savants qui ont perdu celui qu’ils regardaient comme leur maître et leur modèle ; que les nations étrangères se plaignent de ne plus entendre cette voix dont les sages leçons leur ont été si utiles ; et que le tombeau du Newton de notre siècle est honoré par les larmes du héros qui a égalé Gustave-Adolphe par l’éclat de ses victoires et l’a surpassé par son génie.


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