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DISCOURS DE RÉCEPTION


phie forte sans exagération, par des sentiments profonds, exprimés d’une manière souvent originale et toujours simple. Une teinte de mélancolie domine dans toutes ces pièces. Il avait vu périr successivement presque tous les compagnons de sa jeunesse ; il sentait qu’un pouvoir invincible l’entraînait lentement vers le tombeau : tout lui rappelait la nécessité de renoncer à la vie qu’il aimait, qui lui était devenue plus douce à l’époque où la plupart des hommes commencent à en sentir les amertumes. Dans les premiers âges de la vie, le bonheur semble être également le partage, et de l'homme qui s’occupe à étendre ses lumières, à cultiver sa raison, et de celui qui s’abandonne au torrent des plaisirs ou des affaires. Ils peuvent se procurer, avec une facilité presque égale, un aliment aussi sûr pour leur activité : mais cette égalité cesse à l’époque de la vie où les forces commencent à s’affaiblir. L’homme qui a pris l’habitude d’exercer son esprit, a dans lui-même des secrets infaillibles pour alléger le poids du temps ; préparé d’avance, par la réflexion, aux privations douloureuses que la nature lui impose, il s’y soumet sans murmure, et sait trouver dans le silence des passions, dans la possession tranquille de son âme, un dédommagement des plaisirs qu’il a perdus.

M. Saurin avait d’autres motifs de sentir que la vie est encore un bien, même après que les illusions de la jeunesse se sont évanouies. Né avec un caractère impétueux, que sa raison avait dompté, avec des passions ardentes qu’il avait longtemps combattues, condamné pendant sa jeunesse à sacrifier ses goûts