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A L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

Les moyens dont il dispose ne peuvent avoir ni la grandeur ni la force des ressorts que le poète tragique tient dans ses mains ; ses personnages n’ont point à leurs ordres une armée ou une troupe de conspirateurs ; ils ne paraissent point à la tête d’un sénat ; ils ne parlent point au nom des dieux. Dans un drame, les seules passions personnelles peuvent se montrer avec énergie ; toutes les autres sont resserrées dans les limites où l’état des personnages les force de rester. L’ambition ne pourra jamais y déployer sa fierté, ni ses fureurs ; l’amour de la gloire, son enthousiasme ; les sentiments patriotiques, leur héroïsme et leur dévouement. Les méchants ne peuvent s’y montrer qu’avec toute la bassesse naturelle du vice, et le crime ne peut y paraître sans réveiller dans l’imagination l’idée du supplice honteux qui l’attend. Il n’existe, au contraire, aucune vraie beauté dans un drame, qui ne puisse être transportée avec succès dans une tragédie. Les mouvements doux et naïfs des passions tendres, l’expression touchante et simple de ces mouvements, semblent même y produire plus d’effet encore par le contraste des passions fortes et des grandes idées : aussi ce n’est pas dans la différence des événements, dans l’éclat ou l’obscurité du nom des personnages, qu’il faut chercher le caractère distinctif de ces deux genres ; c’est dans la nature du but moral que le poète doit s’y proposer.

Celui de la tragédie est d’arracher l’homme à lui-même, pour l’occuper des grands intérêts de l’humanité, pour réveiller en lui l’enthousiasme du courage, de la liberté, de la vertu, et, par cette diver-