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DISCOURS DE RÉCEPTION


fit succéder un drame, et eut la gloire, unique jusqu’ici, d’avoir laissé au théâtre des pièces dans chacun des trois genres qui partagent la scène française.

L’amour de la nouveauté a fait aux drames presque autant de partisans que le respect pour l’antiquité leur a donné d’ennemis ; et ce genre est célébré avec enthousiasme ou dénigré avec fureur, comme un des fruits de la philosophie moderne. Qu’il me soit permis, Messieurs, de soumettre à votre jugement quelques idées sur cette question qui partage encore la littérature ; vous daignerez sans doute accorder votre indulgence à un géomètre qui, pour la première fois, ose parler de l’art du théâtre.

Ce langage magnifique, qui semble convenir à des rois ou à des héros, ces applications heureuses de l’histoire, ces peintures si attachantes des mœurs étrangères, cet avantage qu’a le poète tragique d’animer par des détails imposants, d’orner des richesses de la poésie les scènes sans passion, mais nécessaires à l’intelligence de son sujet ; la grandeur qu’impriment à toutes les actions des personnages l’appareil de la puissance, l’effet des grands noms, la liaison des événements avec le bonheur ou le malheur des peuples, tous ces accessoires, qui servent à l’effet théâtral d’une tragédie, qui soutiennent et animent le poète, qui ouvrent à son génie une carrière si vaste, sont perdus pour l’auteur du drame. Privé de ces ressources, resserré dans un champ plus étroit, il a plus d’efforts à faire pour s’emparer de l’âme des spectateurs, dont un intérêt continu peut seul réveiller et soutenir l’attention.