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A L’ACADÉMIE FRANÇAISE.


théâtre, d’un héros généreux, armé pour venger l’univers opprimé par les Romains, et l’on applaudit avec transport à un grand nombre de vers qui, pour nous servir d’une expression consacrée par M. de Voltaire, étaient frappés sur l’enclume du grand Corneille.

Blanche eut un succès plus général encore : le poète y occupait l’âme d’intérêts plus chers à la plupart des spectateurs que la liberté du genre humain ; et ces vers :


Que pour le malheureux l’heure lentement fuit !
Qu’une nuit paraît longue à la douleur qui veille !


retentissent encore dans le cœur de tous les hommes sensibles qui ont connu le malheur.

Il est difficile qu’un philosophe qui vit dans la société ne soit pas tenté quelquefois de transporter sur la scène les travers dont il est le témoin. C’est un secret sûr pour les voir sans humeur et sans ennui.

M. Saurin succomba heureusement à cette tentation, et fit les Mœurs du temps, l'Anglomanie, le Mariage de Julie. Ces pièces ont le mérite rare de présenter les caractères, les ridicules tels qu’ils existent dans la société, et de les peindre d’après les originaux eux-mêmes, et non d’après les copies maniérées ou fausses que les romanciers en ont faites. On y reconnaît ce qu’on a vu cent fois sans l’avoir remarqué, et presque même ce que l’on a entendu dire. L’art du poète semble s’être borné à faire prononcer à ses personnages ce que, dans la société, on se contente de laisser entendre. À ces ouvrages M. Saurin