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A L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

Instruits à ne mesurer notre estime que sur l’utilité réelle, nous ne regarderons plus les beaux-arts que comme des moyens dont la raison peut et doit se servir pour pénétrer dans les esprits et pour étendre ses conquêtes ; ces arts, soumis à des lois plus sévères, proscriront ces beautés de convention, fondées sur des erreurs antiques, sur des croyances populaires : mais ils les remplaceront par des beautés plus réelles, que l’austère vérité ne désavouera plus. Si des esprits frivoles croient voir dans ce changement la décadence des arts, le philosophe y reconnaîtra l’effet infaillible du perfectionnement de l’esprit humain. Nous y perdrons peut-être quelques vains plaisirs ; mais l’homme doit-il regretter les hochets de son enfance ?

Loin que les progrès de la raison soient contraires à la perfection des beaux-arts, si ces progrès pouvaient s’arrêter, si nous étions condamnés à ne savoir que ce qu’ont su nos pères, ces arts seraient bientôt anéantis : car, puisqu’ils sont fondés sur l’imitation, comment pourraient-ils ne pas s’arrêter, ne pas déchoir, si les objets qu’ils doivent peindre ne se multipliaient pas sans cesse ; si, toujours plus observés et mieux connus, ces objets ne présentaient pas au génie de nouvelles nuances, des combinaisons nouvelles ? Pourquoi le règne de l’éloquence et de la poésie a-t-il été si court dans la Grèce et dans Rome ? c’est que celui des sciences n’y a pas été prolongé. Leurs poètes, à qui la philosophie ne fournissait plus d’idées nouvelles, ne furent bientôt que des imitateurs faibles ou exagérés des anciens poètes ; leurs littérateurs