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DISCOURS DE RÉCEPTION


gence et sans adresse, des chefs-d’œuvre que l’industrie humaine, abandonnée à ses propres forces, n’eût jamais égalés.

Cette même douceur que vous nous reprochez, c’est elle qui a rendu les guerres plus rares et moins désastreuses, qui a mis au rang des crimes cette fureur des conquêtes, si longtemps décorée du nom d’héroïsme. C’est à elle enfin que nous devons la certitude consolante de ne revoir jamais ni ces ligues de factieux, plus funestes encore au bonheur des citoyens qu’au repos des princes, ni ces massacres, ces proscriptions des peuples, qui ont souillé les annales du genre humain.

Daignez comparer votre siècle à ceux qui l’ont précédé : tâchez de le voir avec les yeux de la postérité, et de le juger comme l’histoire. Vous verrez, dans ces âges dont vous regrettez les vertus, une corruption plus grossière s’unir dans les mœurs avec la férocité, une avidité plus basse se montrer avec plus d’audace ; des vices, presque inconnus aujourd’hui, former le caractère et les mœurs des nations entières, et souvent même le crime compté au nombre des actions communes et journalières.

Les jugements des historiens sont peut-être les preuves les moins suspectes des principes et des mœurs du temps où ils ont écrit. Consultez ceux des siècles passés : voyez à quelles barbaries, à quelles injustices ils ont prodigué des éloges, lors même que la crainte ou l’intérêt ne pouvaient plus les dicter. Observez, dans les détails de leur vie, les hommes dont nos pères ont célébré les vertus, et dont les