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A L'ACADÉMIE FRANÇAISE.


et l'erreur respirent encore, il est vrai : mais ces monstres, les plus redoutables ennemis du bonheur de l'homme, traînent avec eux le trait mortel qui les a frappés, et leurs cris mêmes, qui vous effrayent, ne font que prouver combien les coups qu’ils ont reçus étaient sûrs et terribles.

Vous nous croyez dégénérés, parce que l’austérité de nos pères a fait place à cette douceur qui se mêle à nos vertus comme à nos vices, et qui vous paraît ressembler trop à la faiblesse ! Mais la vertu n’a besoin de s’élever au-dessus de la nature que lorsqu’elle lutte à la fois contre les passions et l’ignorance. Songez que les lumières rendent les vertus faciles ; que l’amour du bien général, et même le courage de s’y dévouer, est, pour ainsi dire, l’état habituel de l’homme éclairé. Dans l’homme ignorant, la justice n’est qu’une passion incompatible peut-être avec la douceur ; dans l’homme instruit, elle n’est que l’humanité même, soumise aux lois de la raison. Le projet de rendre tous les hommes vertueux est chimérique : mais pourquoi ne verrait-on pas un jour les lumières, jointes au génie, créer pour des générations plus heureuses une méthode d’éducation, un système de lois qui rendraient presque inutile le courage de la vertu ? Dirigé par ces institutions salutaires, l’homme n’aurait besoin que d’écouter la voix de son cœur et celle de sa raison, pour remplir par un penchant naturel les mêmes devoirs qui lui coûtent aujourd’hui des efforts et des sacrifices : ainsi l’on voit, à l’aide de ces machines, prodiges du génie dans les arts, un ouvrier exécuter, sans intelli-