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DISCOURS DE RÉCEPTION


du temps, dont l’effet infaillible est d’amener et les révolutions heureuses, et les grandes découvertes.

Mais puisqu’il est impossible de contester le progrès général de toutes les sciences, pourquoi une voix puissante s’élève-t-elle pour attaquer leur utilité ? Depuis les temps les plus reculés, chaque siècle s’accuse d’être plus corrompu que ceux qui l’ont précédé. L’opinion que la nature humaine dégénère et se dégrade sans cesse, semble avoir été l’opinion commune de tous les âges du monde ; elle ose encore se reproduire parmi nous, et, dans ce siècle même, l’éloquence a plus d’une fois employé, pour la défendre, son art et ses prestiges.

Parmi ces détracteurs de notre siècle dont il ne s’agit point ici d’approfondir ou de dévoiler les motifs, je m’adresserai seulement à ces hommes vertueux, qui méprisent le siècle où ils vivent, parce que leur âme est plus blessée du spectacle des maux qu’ils voient que du récit des maux passés, et qui s’irritent contre leurs contemporains par l’excès même de l’intérêt qu’ils prennent à leur bonheur : s’ils semblent prévoir des maux plus grands encore pour la postérité, c’est par la seule crainte d’indocile aux leçons des sages, elle sache ne point prévenir le malheur qui la menace.

Je leur dirai : Ne m’accusez pas d’être insensible aux maux de l’humanité ; je sais que ses blessures saignent encore ; que, partout, le joug de l’ignorance pèse encore sur elle ; que, partout où l’homme de bien jette les yeux, le malheur et le crime viennent contrister sa vue et briser son cœur. L’igno-