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SUR LE XXIXe LIVRE DE L'ESPRIT DES LOIS.


dédaigne d’en parler, et il va chercher ses exemples dans des lois oubliées !

Il reproche aux lois du Bas-Empire leur style ; mais c’est confondre le préambule d’une loi avec la loi. Lorsqu’un peuple se donne à lui-même des lois, il n’a pas besoin d’en développer les motifs ; et souvent il n’en pourrait donner d’autres que sa volonté. Mais lorsqu’un homme dicte des lois à toute une nation, le respect dû à la nature humaine lui impose le devoir de rendre raison de ses lois, de montrer qu’il ne prescrit rien que de conforme à la justice, à la saine raison, à l’intérêt général.

Les ministres des empereurs eurent tort, s’ils écrivirent ces préambules comme des rhéteurs ; mais ils avaient raison de les regarder comme nécessaires, et Montesquieu devait faire cette distinction [1].

  1. Ou plutôt il ne devait pas la faire. Tout délégué du peuple, agissant pour lui, doit lui rendre compte de ses motifs : et quand il serait possible que le peuple entier agisse, il ferait encore bien de se rendre compte à lui-même de ses raisons.

    Il en agirait plus sagement. Condorcet lui-même dit, au chapitre XIX, que tout législateur, pouvant se tromper, doit dire le motif qui l’a déterminé ; et il explique les différents avantages de cette précaution, et la manière de l’exécuter.

    Il y a encore une raison pour que tout législateur donne ses motifs ; c’est que ces motifs, fussent-ils bons, s’ils ne sont pas de nature à être goûtés généralement, il n’est pas encore temps de rendre la loi ; et qu’au contraire, s’il parvient à les faire goûter, il est bien plus près d’amener la nation à toutes les bonnes conséquences qui en dérivent, que s’il avait fait passer la loi toute seule, par autorité ou par surprise.

    (Note de M. le comte Destutt de Tracy, pair de France.)