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CORRESPONDANCE GÉNÉRALE.


qui la prononce est coupable de meurtre. Il peut bien, s’il est puissant, échapper au supplice ; mais il ne peut échapper à l’infamie. Je vous ai dit que les juges de La Barre n’avaient pas même pour eux la jurisprudence des arrêts. J’ai parcouru la liste des assassinats juridiques commis par le parlement de Paris, et je n’y ai vu aucun blasphémateur simple.

Morin était un fanatique séditieux, Petit avait fait des chansons impies ; le juif de la rue des Billettes, le cocher de l’hôtel de Guise, étaient des sacrilèges ; Herbe était sorcier. Aucun de ces cas ne peut s’appliquer au chevalier de La Barre. On ne peut punir du même supplice, celui qui fait une chanson blasphématrice et celui qui la chante.

Ainsi, quoi qu’on en dise, l’assassinat de La Barre est un assassinat d’un genre nouveau en France, une atrocité réservée à notre siècle. On objecte à M. d’Étalonde le bris du crucifix. Eh bien, je dis encore qu’aucune loi ne prononce la peine de mort pour ce crime. Voyez la loi de Charles IX, dont on s’appuie : c’est un article de l’édit de pacification ; il n’y est question que des bris d’images qui pourraient renouveler les troubles. La lettre le porte, et tous autres actes scandaleux et séditieux. Il est difficile d’étendre ce texte à une insulte faite de nuit. Il n’y a point eu d’autre sédition à Abbeville, que l’impertinente procession de l’évêque d’Amiens.

Toute cette affaire a été à Abbeville l’ouvrage de l’animosité et de la haine, comme à Paris elle a été celui du fanatisme et de l’hypocrisie. Mais n’est-ce pas un moyen de cassation que d’avoir choisi pour