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CORRESPONDANCE GÉNÉRALE.


vous êtes selon son goût et selon son cœur ; vous seul pouvez nous l’arracher à un état qui nous fait tout craindre. Voici donc ce que je désirerais, et que je soumets bien plus à voire sentiment qu’à votre jugement ; c’est que vous lui écrivissiez qu’il serait assez dans vos arrangements de faire le voyage d’Italie cette année, parce qu’il vous est important de profiter du séjour qu’y doit faire M. le cardinal de Bernis. Vous partiriez de ce texte pour lui dire que vous désireriez qu’il voulût bien faire ce voyage avec vous, et que vous pensez que cette espèce de dissipation le remettrait en état de travailler, et par conséquent de jouir de la vie, ce qu’il ne fait point depuis qu’il est ’privé du plus grand intérêt qu’il y eût, qui est le travail, etc., etc. Vous sentez bien que cette tournure est nécessaire, parce que, quelque confiance qu’il ait en votre amitié, il craindrait d’en abuser en vous demandant de faire ce voyage dans ce moment-ci. D’ailleurs, il ne veut rien assez fortement pour solliciter, il faut aller au-devant de lui ; il me dit sans cesse qu’il n’y a plus pour lui que la mélancolie et la mort, et il s’y livre d’une façon à désoler ses amis. Vous partagez mon sentiment. Monsieur, et il n’y a que vous qui puissiez nous conserver l’ami le plus sensible et l’homme le plus vertueux. Ne perdez point de temps, Monsieur, il faudrait pouvoir partir à la fin de septembre. Je croirais vous blesser en vous parlant des difficultés personnelles que vous aurez sans doute à vaincre ; mais vous êtes sensible et vertueux, vous aurez l’activité, la générosité et la force nécessaire ;