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ENTRE TURGOT ET CONDORCET.

Je vous prie d’en présenter autant à M. D’Alembert [1].

A Paris, le 29 juillet 1774.
  1. M. Aimé-Martin, dans son Essai sur la vie et les ouvrages de Saint-Pierre, raconte que D’Alembert « accueillit avec empressement le protégé d'un ambassadeur, et l’introduisit chez mademoiselle de l’Espinasse. M. de Saint-Pierre se félicita d’y rencontrer des hommes qui remplissaient alors l’Europe de leur renommée. Séduit par l’admiration générale, il n’approcha d’eux qu’avec respect, et son âme simple et confiante bénissait le ciel de l’avoir conduit à la source de tant de lumières. Mais quelle fut sa surprise lorsqu’il vit ces sages précepteurs du genre humain divisés en sectes ennemies, n’ayant d’autre but que le mal, d’autre passion que la vanité, niant Dieu pour adorer l’ouvrage de leurs mains ; et dans cette lutte orgueilleuse, où la vertu ne se montra jamais, etc., M. de Saint-Pierre sentit que tant d’inconséquence et si peu de vertu annonçait la dissolution de la société : il osa le dire ; il osa combattre ceux qu’il avait admirés ; il leur disait :. . . . » (P. 183-185 de l’édit. in-18.)

    Je passe une longue prosopopée religieuse et sentimentale pour arriver à une anecdote où mademoiselle de l’Espinasse joue le principal rôle. M. de Saint-Pierre raconte chez elle que son libraire l’a volé effrontément sans qu’il s’y opposât. (On sait à quel point Bernardin de Saint-Pierre était désintéressé !) — « D’Alembert se récrie sur sa faiblesse de ne pas tuer un pareil coquin ; un évêque janséniste dit en souriant que M. de Saint-Pierre avait l’âme très-chrétienne ; Condorcet applaudit à ce bon mot, et mademoiselle de l’Espinasse ajouta d’un ton moitié sérieux, moitié railleur : Voilà une vertu de Romain ! puis ouvrant une des boîtes de bonbons qui étaient toujours sur sa cheminée : « Tenez, dit-elle, vous êtes doux et bon ! . . . . » Dès ce moment, à en croire M. Aimé-Martin, M. de Saint-Pierre se vit en butte aux sarcasmes, au mépris, et il fut jeté dans un tel délire par ces odieux traitements, qu’il prit la résolution d’avoir un duel à mort avec le premier qui le regarderait on face ! Heureusement per-