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ENTRE TURGOT ET CONDORCET.

Voici la lettre de Bernardin de Saint-Pierre à mademoiselle de l’Espinasse, dont il a été question page 245.

Mademoiselle,

Pour ne pas sembler repousser la fortune, et encore moins les marques de votre attention et de votre bon cœur, permettez-moi de vous demander à quel litre, pourquoi et comment je dois aller chez M. Turgot, dont je ne suis pas connu. Si la vertu se plaisait à être applaudie indifféremment de tout le monde, j’irais lui dire : Vous avez fait du bien en Europe, mais ce qui est plus difficile, vous allez empêcher le mal aux Indes. Vous avez le courage de la vertu, que le ciel vous en donne la récompense, et que votre nom soit béni sur mer comme il l’a été sur terre. Maison voit bien, Mademoiselle, que vous ne voyez les ministres que chez vous. On ne les aborde qu’un papier à la main quand on les aborde, et que mettre dans ce papier ? Je ne suis point officier de marine et je ne veux point vivre aux colonies. Je l’ai dit plusieurs fois. Qui a lu mon voyage [1] peut le penser ; mais qui me connaît doit le croire.

Il est vrai que la réputation de M. Turgot le mettra à même de servir de son crédit ceux qu’il ne pourra obliger par sa place. Il va devenir tout-puissant. Un pauvre homme assis sur les marches de l’hôtel de ville, disait un jour pendant qu’on tirait la loterie : Mon Dieu, si vous pouviez me faire tomber le gros

  1. Le voyage à l’Ile-de-France.