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ENTRE TURGOT ET CONDORCET.


quoi il s’agissait que d’une manière générale par mademoiselle de l’Espinasse. Cet homme méritait un sort, mais non pas d’être mieux traité que des gens qui valent mieux que lui.

Je voulais vous écrire sur Helvétius. Nous sommes presque d’accord. Cependant il y a encore un article sur lequel nous aurions à disputer, et peut-être beaucoup, et sur lequel j’imagine encore que, malgré la différence de nos énoncés, nous pourrions bien finir par nous accorder presque tout à fait ; mais la dispute demande du temps, et je n’en ai point. Je vous dirai seulement que je ne crois pas que la morale en elle-même puisse être jamais locale. Ses principes sont partout fondés sur la nature de l’homme et sur ses rapports avec ses semblables, qui ne varient point, si ce n’est dans des circonstances très-extraordinaires. Mais le jugement à porter des actions des individus est un problème beaucoup plus compliqué, et infiniment variable, à raison des opinions locales et des préjugés d’éducation. Je suis, en morale, grand ennemi de l’indifférence et grand ami de l’indulgence, dont j’ai souvent autant besoin qu’un autre. C’est, je crois, faute d’avoir bien distingué ces deux points de vue si différents sur la manière de juger la moralité des actions que les uns donnent dans un rigorisme excessif, en jugeant les actions individuelles d’après les idées générales de la morale, sans égard aux circonstances qui excusent l’individu ; et que les autres regardent toute action comme indifférente, et n’y voient que des faits de physique, parce qu’il en est peu qui ne puis-