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ENTRE VOLTAIRE ET CONDORCET.


pleurs que j’ai vu répandre à des personnes qui savent lire, et qui savent se passionner sans chercher la passion, que si cette esquisse était avec le temps bien peinte et bien coloriée, elle pourrait produire à Paris un effet heureux. Je m’étais imaginé qu’il n’était pas absolument impossible d’adoucir la rage de certaines gens, et qu’enfin je pourrais venir vous embrasser et avoir la consolation de mourir entre vos bras. Je me suis malheureusement trompé [1].

Je conviens d’une grande partie des vérités que vous avez la bonté de me dire, et je m’en dis bien d’autres à moi-même. Je travaillais à faire un tableau de ce croquis, lorsque vos critiques, dictées par l’amitié et par la raison, sont venues augmenter mes doutes. On ne fait rien de bon dans les arts d’imagination et de goût, sans le secours d’un ami éclairé.

Je n’entrerai ici dans aucun détail, j’enverrai à M. d’Argental le résultat de vos réflexions et de mes efforts, si je suis réduit à me dire solve senescentem, je mourrai entre mes montagnes dans mon inutilité. Mais je mourrai avec un cœur aussi pénétré de votre bonté et de votre mérite, que mon esprit sera incapable de profiter de vos lumières.

Si vous voyez M. d’Argental, je vous supplie de lui dire qu’il ne montre le tableau à personne, et qu’il attende les derniers coups de pinceau du trop

    taire à Voltaire lui-même. On voit du moins quel bon esprit accueillait ces franchises inspirées par une amitié sincère.

  1. Voltaire partit de Ferney le 5 février ; il arriva le 10 à Paris, à trois heures du soir, et mourut le 30 mai.