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ENTRE VOLTAIRE ET CONDORCET.


nom peut être un défaut de courage ; mais il n’y a point de courage à braver inutilement un despote entouré de deux cent mille satellites. Il y aurait de l’imprudence à dire son nom lorsque, loin de servir à l’objet qu’on se propose, il ne ferait qu’y nuire. Or c’est ici le cas où était Fénelon, précepteur des enfants de France. Louis XIV eût trouvé mauvais qu’il se mélât des affaires d’État ; Louis XIV eût regardé comme la lettre d’un fou cette lettre signée de Fénelon, et il pouvait la regarder comme la lettre d’un saint en la croyant d’un solitaire inconnu.

L’archevêque de Paris [1] et le père La Chaise sont traités comme ils méritent de l’être. Savez-vous que cet archevêque avait défendu d’enseigner dans son diocèse la philosophie de Descartes, dont il prenait en secret des leçons ? il était encore plus hypocrite et persécuteur que débauché. Voici donc ce que je crois de cette lettre. Fénelon l’aura écrite de concert avec le duc de Beauvilliers et madame de Maintenon, pour faire parvenir à Louis XIV la vérité qu’ils n’osaient lui dire tout entière. On y aura dit un peu de mal d’eux pour que Louis XIV ne regardât point cette lettre, dont le fond était d’accord avec leurs sentiments, comme concertée avec eux ; la lettre existe, écrite et raturée par Fénelon [2] ; mais il paraît vraisemblable que jamais elle n’a été envoyée.

  1. Harlay de Chanvallon, prêtre dissolu, qui refusa la sépulture à Molière.
  2. D’Alembert l’avait eue sous les yeux ; car sur la copie qui a servi pour l’impression, il a mis en marge cette note : L’original que nous avons vu est écrit tout entier de la main de Fénelon.