Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 1.djvu/326

Cette page n’a pas encore été corrigée
124
CORRESPONDANCE

Pour vous, je vous crois enfoncé dans la géométrie ; je vous le pardonne, si vous faites dans les mathématiques des découvertes nouvelles, comme ont fait sir Isaac et le capitaine Halley ; mais n’oubliez pas, je vous en prie, notre académie. Il faut que vous nous fassiez l’honneur d’en être à la première occasion : nous avons besoin d’un homme tel que vous. Alors je dirai nunc dimittis..... Pourquoi faut-il que je sois si éloigné de vous ? que je ne puisse vous parler, et surtout vous entendre ? Vous ranimez ma vieillesse un moment par votre lettre, mais je retombe bientôt après dans mon anéantissement. Où est le temps où vous rallumiez mon feu avec M. D’Alembert ? Où est le temps encore plus éloigné où notre Caton [1] daigna passer quelques jours aux Délices dans la chambre des fleurs ? Je suis de tous les côtés livré aux regrets, et malheureusement je suis sans espérance ; c’est le pire de tous les états. C’est même le signal que nous donne la nature pour sortir de ce monde ; car quel motif nous y peut retenir quand l’illusion de cette espérance est perdue ?

Conservez-moi du moins la consolation réelle de votre amitié, j’en ai besoin. J’ai vu dans l’espace de plus de quatre-vingts ans bien des choses affreuses, et je crains d’en voir encore si ma vie se prolonge.

Pétrarque disait : Povera e nuda vai filosofia. Ai-je pu trouver un asile dans mes déserts sur la fin de mes jours ? Je n’en sais rien.

  1. Turgot.