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CORRESPONDANCE


est perdu si on trouve chez lui un seul exemplaire de cette infâme édition annoncée par un nommé Bardin, dans le journal de Bouillon[1].

J’ai averti sa sœur, madame Suard ; elle ne me répond point. Vous êtes son ami ; tout ce qu’on me mande me fait voir évidemment qu’il n’y a pas un moment à perdre. S’il est vrai qu’en effet Bardin, ou quelque autre, ait vendu cette misérable édition au frère de madame Suard, il n’a d’autre parti à prendre qu’à la renvoyer ou à la brûler.

C’est à moi plus que personne de me plaindre. Il y a dans cette collection vingt ouvrages qui font frémir la religion chrétienne, et qu’on a la barbare impudence de mettre sous mon nom : si ce nom malheureux n’est pas en toute lettre à la tête de ces indignes ouvrages, il y est si bien désigné qu’on ne peut s’y méprendre. Je sais que le parti est pris de procéder contre Panckoucke et contre moi : je n’en puis douter ; et je ne veux pas, dans ma quatre-vingt troisième année, mourir ailleurs que dans mon lit [2]. Je ne veux pas être la victime de l’imprudente ava-

  1. Voyez ci-dessus les lettres nos 49, 50, 51.
  2. « Je ne plaisante point : je sens combien il est dangereux d’être accusé, et combien il est ridicule de se justifier. Je sens aussi qu’il serait bien triste, à mon âge de quatre-vingt-deux ans, de chercher une nouvelle patrie, comme d’Étallonde, J’aime fort la vérité ; mais je n’aime point du tout le martyre. »
    (A D’Alembert, 8 février 1776.)

    En effet, le martyre des amis de la vérité ne profite qu’aux amis du mensonge. Servir la vérité le plus possible, et être martyr le moins possible, c’est là le problème. Voltaire l’a résolu, et Condorcet y a succombé.