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CORRESPONDANCE


voir hardiment au conseil le procès de La Barre, comme on y a revu celui des Calas, serait une chose digne du beau siècle où nous entrons, et il faudrait sans doute que M. d’Ormesson, M. de Marville, et les auties parents du chevalier de La Barre se chargeassent courageusement d’effacer l’opprobre de leur famille, du parlement et de la France.

Les Parisiens, qui ne connaissent que Paris, ne savent pas que depuis Archangel, Jassy, Belgrade et Rome, on nous reproche La Barre comme Rosbach ; et qu’il est triste pour nos jolis Français de n’être plus regardés dans toute l’Europe que comme des assassins poltrons. J’ignore si on voudra remuer ce cloaque ; si le conseil sera assez sage, assez hardi, et même assez instruit pour décider que la déclaration de 1682, faite à l’occasion de la Voisin et de deux prêtres sacrilèges et empoisonneurs, ne regarde en aucune manière le chevalier de La Barre. Il fut convaincu, autant que je m’en souviens, d’avoir récité les litanies du ***, qui sont dans Rabelais, dédiées à un cardinal, et imprimées avec privilège du roi. Il avoua aussi qu’il avait récité l'Ode à Priape de Piron, pour laquelle ce Piron avait eu, comme vous savez, une pension de quinze cents livres sur la cassette [1].

Je ne vois pas qu’il y ait dans tout cela de quoi donner la question ordinaire et extraordinaire à un jeune gentilhomme, petit-fils d’un lieutenant général, de quoi lui couper la main droite, de quoi lui

  1. Dans sa lettre du 7 septembre 1774 à madame du Deffant, Voltaire dit douze cents livres.