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qu’elles étoient exprimées dans la langue qu’ils avoient apprise en naissant, leur esprit étoit naturellement retréci. Le peu de précision & d’exactitude ne pouvoit les choquer, parce qu’ils s’en étoient fait une habitude. Ils n’étoient donc pas encore capables de saisir tous les avantages des langues savantes. En effet, qu’on remonte de siècles en siècles, on verra que plus notre langue a été barbare, plus nous avons été éloignés de connoître la langue latine ; & que nous n’avons commencé à écrire bien en latin, que quand nous avons été capable de le faire en françois. D’ailleurs, ce seroit bien peu connoître le génie des langues, que de s’imaginer qu’on put faire passer tout d’un coup dans les plus grossières les avantages des plus parfaites : ce ne peut être que l’ouvrage du tems. Pourquoi Marot, qui n’ignoroit pas le latin, n’a-t-il pas un style aussi égal que Rousseau à qui il a servi de modèle ? C’est uniquement parce que le françois n’avoit pas encore fait assez de progrès.