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à tous les noms primitifs, nous reconnoîtrions qu’il n’y a point de substantif abstrait qui ne dérive de quelque adjectif ou de quelque verbe.

§. 94. Avant l’usage des verbes, on avoit déjà, comme nous l’avons vu, des adjectifs pour exprimer des qualités sensibles ; parce que les idées les plus aisées à déterminer ont dû les premières avoir des noms. Mais, faute de mot pour lier l’adjectif à son substantif, on se contentoit de mettre l’un à côté de l’autre. Monstre terrible signifioit, ce monstre est terrible ; car l’action suppléoit à ce qui n’étoit pas exprimé par les sons. Sur quoi il faut observer que le substantif se construisoit tantôt avant, tantôt après l’adjectif, selon qu’on vouloit plus appuyer sur l’idée de l’un ou sur celle de l’autre. Un homme surpris de la hauteur d’un arbre, disoit, grand arbre, quoique dans toute autre occasion il eût dit, arbre grand : car l’idée dont on est le plus frappé, est celle qu’on est naturellement porté à énoncer la première.