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dont il se fait le héros. Ces fictions, qu’on appelle des châteaux en Espagne, n’occasionnent, pour l’ordinaire, dans le cerveau que de légères impressions ; parce qu’on s’y livre peu, & qu’elles sont bientôt dissipées par des objets plus réels dont on est obligé de s’occuper. Mais qu’il survienne quelque sujet de tristesse, qui nous fasse éviter nos meilleurs amis & prendre en dégoût tout ce qui nous a plu ; alors, livrés à tout notre chagrin, notre roman favori sera la seule idée qui pourra nous en distraire. Les esprits animaux creuseront, peu à peu, à ce château des fondemens d’autant plus profonds, que rien n’en changera le cours : nous nous endormirons en le bâtissant ; nous l’habiterons en songe ; & enfin, quand l’impression des esprits sera insensiblement parvenue à être la même que si nous étions en effet ce que nous avons feint, nous prendrons, à notre réveil, toutes nos chimères pour des réalités. Il se peut que la folie de cet athénien qui croyoit que tous les vaisseaux qui