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il est évident que, si l’expérience ne nous avoit appris que nous sommes mortels, bien loin d’avoir une idée de la mort, nous serions fort surpris à la vue de celui qui mourroit le premier. Cette idée est donc acquise, & Mallebranche se trompe pour avoir confondu ce qui est naturel, ou en nous dès la naissance, avec ce qui est commun à tous les hommes. Cette erreur est générale. On ne veut pas s’appercevoir que les mêmes sens, les mêmes opérations & les mêmes circonstances doivent produire partout les mêmes effets[1]. On veut absolument avoir recours à quelque chose d’inné ou de naturel, qui précède l’action des sens, l’exercice des

  1. On suppose qu’un homme fait vient de naître à côté d’un précipice, & on m’a demandé s’il est vraisemblable qu’il évite de s’y jetter. Pour moi, je le crois ; non qu’il craigne la mort, car on ne peut craindre ce qu’on ne connoît point ; mais parce qu’il me paroît naturel qu’il dirige ses pas du côté où ses pieds peuvent porter sur quelque chose.