Page:Conan - Silhouettes canadiennes, 1917.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
silhouettes canadiennes

reste : « J’ai planté, disait saint Paul, j’ai arrosé, mais c’est Dieu qui donnera l’accroissement. »

Un sourire éclaira le visage bronzé de Champlain.

— J’espère, dit-il, mais je n’en suis pas moins comme un père condamné à voir son enfant languir, chétif, souffreteux… et c’est si amer.

— Après la foi, la souffrance est la plus grande des forces. C’est la souffrance qui fait le travail généreux de la vie… D’ailleurs, vous le savez, l’œuvre que vous avez entreprise entraîne des frais infinis et conviendrait plus à une nation qu’à des particuliers.

— Oui, mais la France est fille de la guerre et de la gloire… Ses forces vives se dépensent sur les champs de bataille… Le Français n’émigre pas volontiers… Et à ceux qui sont en mal de colonisation le roi accorde tout au plus le privilège de la traite…

— Et vous êtes réduit à faire petitement une grande œuvre, à vous associer des marchands qui vous entravent, qui ne comprennent rien à la beauté, à la noblesse de vos vues.

— C’est un conflit toujours renaissant d’intérêts personnels… Un amas de petitesses écrase l’œuvre de ma vie.

Il était devenu triste. Un mortel — même héroïque — ne se défend pas toujours de la lassitude et du dégoût. Le Récollet, le savait et il dit vivement :

— Monsieur, il n’y a rien sur terre de plus grand que le travail obscur, que le travail ingrat ; et en ce monde on ne construit, on n’édifie rien que par le sacrifice.

Champlain ne répondant point, le religieux reprit :

— Une fois l’été fini l’isolement est absolu à Québec ?

— Oui, et l’on dirait que les Français ne peuvent supporter d’être sans communications avec le monde civilisé. Jamais je n’oublierai le regard de mes hommes, quand le