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silhouettes canadiennes

l’une des cheminées, la fumée s’échappait encore et montait distincte, dans la demi-obscurité.

Malgré la fatigue du voyage, malgré l’heure avancée, Champlain ne songeait pas au repos. Trop d’espérances, trop de souvenirs peuplaient pour lui ce coin de terre ignoré.

Jusque-là, Champlain n’avait pu emmener de missionnaires. Son manque de ressources et le mauvais vouloir des compagnies l’en avaient toujours empêché. Aussi sa joie était grande d’en voir à Québec, et passionnément heureux de se retrouver à son foyer, il se plaisait à regarder le feu, en causant avec le Père Jamay, supérieur de la nouvelle mission.

Les flammes de l’âtre éclairaient souvent le crucifix, placé sur la cheminée. Par instants les grandes lueurs faisaient briller les lis d’or du drapeau pendu à la poutre. Mais les murs de la salle disparaissaient dans l’ombre avec tous les détails mesquins, et la forêt environnante projetait sur le rude foyer une étrange et poétique grandeur.

— Est-ce le berceau d’un peuple ? demanda tout-à-coup Champlain avec une émotion visible. Y aura-t-il sur les bords du Saint-Laurent une autre France ?

— En doutez-vous ? répondit le missionnaire qui leva sur lui un regard brillant.

— J’ai marché sur bien des feuilles mortes, dit le grand explorateur… sur bien des feuilles mortes… et sur bien des espoirs anéantis.

— Mais aussi, répliqua le religieux, souriant, vous avez vu des noyaux devenir des arbres, vous avez vu des espoirs réalisés.

— Ah ! mon Père, s’écria douloureusement Champlain, que dites-vous !… c’est surtout aux rêves accomplis qu’il faut mourir… Le 3 juillet prochain, il y aura sept ans que j’arborais ici le drapeau de la France… sept ans que je donnais