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silhouettes canadiennes

« Tous les jours, dit l’annaliste, nous avions sous les yeux les traitements cruels qu’ils faisaient souffrir à ceux qui tombaient entre leurs mains. Cela nous inspirait tant de terreur qu’il faut s’être trouvé en cette extrémité pour s’en faire une idée. Toutes les fois que quelques-uns des nôtres étaient attaqués, on sonnait le tocsin pour inviter les habitants à aller les secourir. Quand on sonnait le tocsin, ma sœur Maillet tombait aussitôt en faiblesse, par l’excès de la peur, et ma sœur Macé, tout le temps que durait l’alarme, demeurait sans parole et dans un état à faire pitié. Ma sœur de Brésoles était plus forte et plus courageuse ; la frayeur, dont elle ne pouvait se défendre, ne l’empêchait pas de servir ses malades, ni de recevoir ceux qu’on apportait blessés ou morts. Je crois, ajoute l’annaliste, que la mort aurait été plus douce de beaucoup qu’une vie mélangée et traversée de tant d’alarmes pour nous et de compassion pour nos pauvres frères que nous voyions traités si cruellement.»

Cette vie, Jeanne Mance l’a supportée durant trente-trois ans. Et quand les secours firent défaut, quand tout sembla perdu, son intelligente initiative, en sauvant Ville-Marie, sauva la colonie tout entière.

Et maintenant que Ville-Marie est devenue une grande ville, est-il juste que rien n’y rappelle cette héroïne[1] ?

Aux périlleux commencements de Montréal, Jeanne Mance a pris une part tendre et active. Elle a été la chaste gardienne de ce foyer de vaillance, où la sève chrétienne circulait si généreuse, si puissante ; elle a veillé sur le berceau de Ville-Marie, sur ce rude et sanglant berceau qui rayonne de clartés célestes. « Le respect, dit un orateur sacré, est, après la

  1. En 1909, Mgr l’archevêque de Montréal a fait élever un beau monument à Jeanne Mance dans la cour de l’Hôtel-Dieu.