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silhouettes canadiennes

C’est avec une douce mélancolie qu’il regardait souvent la petite église où près de son Sauveur, il allait attendre le glorieux réveil.

Le repos que la vieillesse lui imposait, lui permettait de se livrer à la prière, et tous ses souvenirs nourissaient- le chant intérieur de sa reconnaissance. Sur lui et sur les siens, Dieu avait étendu sa protection pendant les années terribles. Sa vie de famille avait été vraiment heureuse. Son auguste longévité lui apportait la joie de voir sa race se multiplier.

Il avait aimé sa patrie d’adoption comme l’homme, vraiment homme, aime sa terre natale, et cette Nouvelle-France qu’on empêchait de croître, qui semblait condamnée à mourir avant d’avoir vécu, il la voyait merveilleusement affermie. La fondation de Boucherville, commencée sans ressources, avait malgré tout réussi. Il allait laisser une paroisse solidement constituée, pleine d’avenir. Sur ce coin de terre où il s’était senti si jeune, où il avait si rudement travaillé, par les beaux jours, il se promenait maintenant d’un pas alourdi par l’âge. Les sentiers verts étaient encore les seules rues à Boucherville. Entre les maisons peu rapprochées beaucoup d’arbres centenaires restaient debout, mais les toits fumaient, la flamme brillait joyeuse aux foyers, les épis ondulaient dans les champs. Et Pierre Boucher se sentait heureux d’avoir civilisé un morceau de la forêt. Les peines, les fatigues, les sanglants souvenirs étaient oubliés. Des cruelles années lointaines, il ne lui restait plus qu’un doux sentiment de repos et il attendait en paix l’appel de Dieu.

Avec une tristesse sereine, il écrivit ses adieux aux siens, et ses dernières volontés. D’après Jacques Viger, au siècle dernier, on les lisait encore, chaque année, en famille, à genoux.