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silhouettes canadiennes

pioche. Pierre Boucher le comprenait. Il savait que le patriotisme prend corps avec la terre, se confond avec l’amour du sol, et un grand projet le préoccupait.

Pour reconnaître les bons et utiles services du sauveur des Trois-Rivières, l’intendant Talon lui avait donné, concédé et accordé un morceau de forêt — cent quatorze arpents de front sur deux lieues de profondeur à prendre sur le Saint-Laurent, bornées des deux côtés par la seigneurie de Varennes, pour jouir de la dite terre en tous droits de seigneurie et justice, et, de ce fief en bois debout, Pierre Boucher songeait à faire une paroisse modèle.

Plein de cette pensée, il visita sa sauvage seigneurie et la trouva à souhait. L’argent lui manquait absolument pour la mettre en valeur — Il avoue dans ses mémoires, qu’après avoir établi les colons qu’il avait amenés de France, il se trouva complètement ruiné — Mais il savait que la richesse est dans le sol, que la prospérité des familles comme des nations dépend surtout de l’agriculture, et son parti fut bientôt pris : il viendrait, défricher son domaine et y établirait son foyer. « La grandeur des actions humaines, a dit Pasteur, se mesure à l’inspiration qui les fait naître. Heureux qui porte en soi son idéal et qui lui obéit. »

Lui-même écrivit quels motifs lui faisaient abandonner le gouvernement des Trois-Rivières pour se fixer dans la forêt, et, au monastère des Ursulines de Québec, on conserve religieusement ce manuscrit intitulé : Raisons qui m’engagent à établir ma seigneurie des îles percées que j’ay nommée Boucherville.

1ère Raison. — C’est pour avoir un lieu dans ce païs consacré à Dieu, où les gens de bien puissent vivre en repos, et les habitants faire profession d’estre à Dieu d’une façon toute particulière. Ainsi toute personne scandaleuse n’a que faire de se présenter pour y venir habiter, si elle ne veut changer de vie, ou elle doit s’attendre à en estre bientôt chassée.