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PHYSIONOMIES DE SAINTS

Le capitaine fit aussitôt mettre à la mer l’unique chaloupe du bord. L’embarcation ne pouvant recevoir tout le monde, on décida de n’y laisser descendre que les Espagnols et de sacrifier les nègres.

Mais le P. Solano refusa absolument d’abandonner ses néophytes. C’est en vain qu’on le pressa, qu’on le supplia.

Sur ce navire abandonné, qui menaçait à tout instant de sombrer, il rassemblait les nègres autour de lui et, le crucifix à la main, les préparait au baptême.

Il n’y avait plus d’interprète, mais Dieu accorda au P. Solano d’être parfaitement compris des pauvres noirs. Ils voyaient qu’il leur sacrifiait sa vie ; sa charité leur fit croire à la charité de Jésus-Christ ; ils demandèrent le baptême.

Jamais le sacrement de la régénération ne fut administré dans des circonstances plus terribles. Le saint baptisait encore quand une vague formidable frappant le vaisseau naufragé l’ouvrit. L’avant se détacha, s’abîma avec ceux qui s’y trouvaient… Mais — ô prodige ! l’arrière où était le saint continua de flotter. Les nègres qui y restaient poussaient des gémissements lamentables ; ils se voyaient déjà au fond de l’océan.

Le saint leur dit d’avoir confiance en Dieu — que la chaloupe viendrait les chercher dans trois jours. Mais comment croire que cette moitié de navire tiendrait trois jours durant contre les éléments déchaînés.

Cependant les heures s’écoulaient et l’épave flottait toujours. Le P. Solano se multipliait auprès des pauvres noirs. Il n’avait point de nourriture à leur donner, mais il les encourageait, les faisait prier, et au procès de canonisation de François Solano, plusieurs d’entre eux jurèrent n’avoir point souffert dans cette épouvantable situation. Le troisième jour, une vague jeta aux naufragés un ballot de cierges que la mer avait englouti avec le reste du bagage des missionnaires.

Le vent s’étant apaisé, on parvint, pendant la nuit,