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L'OBSCURE SOUFFRANCE

Bien des fois, j’ai feuilleté avec respect ces pages jaunies. L’écriture en est appliquée, un peu pénible. On y sent une main plus habituée à manier la charrue que la plume.

En ce temps-là, les livres étaient bien rares chez nous, et il fallait apprendre à nous défendre, à tirer parti de nos droits de sujets britanniques. Que pensait Prosper Lausanne quand, après sa dure journée, il se mettait à son travail de copiste, à la lumière d’une chandelle de suif, dans la paix pleine de vie du foyer ? De temps à autre, il devait s’arrêter pour se reposer un peu en fumant. À quoi songeait-il ? Comment lui apparaissait l’avenir ?

J’aurais voulu parler de tout cela avec mon père, et je lui proposai d’aller chercher le manuscrit pour le regarder avec lui. – « Demain matin, » me dit-il.

Mais ce matin… En l’apercevant, je fus déchirée de pitié. Ah ! j’avais trop espéré. Cependant la soirée d’hier m’a laissé une consolation. J’ai constaté que la fierté nationale n’est pas éteinte, que l’amour de la patrie vit encore en son cœur.