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ÉLISABETH SETON

petite Anna, le dernier chapitre de l’Apocalypse ; mais l’accent de cette voix ! Non, il n’y a pas de cœur qui y eût résisté. Encore la tempête en mer, et le vent qui souffle, et un froid si vif ! William, avec une couverture sur ses épaules, se traîne vers le feu de notre vieux serviteur ; Anna saute à la corde, et Mme  Élisabeth fait cinq ou six fois de suite le tour de la chambre, en sautant sur un pied. Vous riez, ma sœur, mais c’est un bon exercice, qui réchauffe plus vite que le feu quand on se remue de bon cœur.


Saint-André, 30 novembre.

« William a pu retourner auprès du feu, dans la cuisine. La nuit dernière, trente ou quarante pauvres créatures de toutes les nations, Grecs, Turcs, Espagnols, Français, venant de faire naufrage, sont arrivés ici. Point de matelas, point d’habits, point de nourriture. De grandes jaquettes et pas de chemises ; ou des chemises et pas d’habits. On les a entassés tous dans une seule chambre aux murailles nues, avec une cruche d’eau, en attendant que le commandant trouvât le temps de s’occuper d’eux. Notre capitano dit qu’il ne peut rien faire, sans avoir des ordres. « Patienza, E che volete, Signora ». — Anna dit : « Encore que nous ayons si froid, et que nous soyons dans une prison, comme nous sommes heureux, en comparaison d’eux ! Et puis, nous avons la paix, tandis qu’eux ne font que se quereller, que se battre, et ils crient tout le temps. Le capitano nous envoie jusqu’à des marrons et des fruits de sa propre fable ; eux, ils n’ont pas même de pain. » Nous avons récité notre office de chaque jour auprès du lit de William ; il se figurait que cela arrêterait ses frissons. L’âme de mon William est abattue ; elle a peine à embrasser cette foi qui est notre unique ressource. C’est en notre Rédempteur qu’il nous faut chercher notre vie ; mais si notre âme est au moment de son départ, oh ! c’est alors

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