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j’éprouvai dans tout mon être une commotion extraordinaire, un ébranlement puissant et délicieux. Une force irrésistible m’enleva aux pensées, aux sentiments de la terre. La vie de missionnaire, qui m’épouvantait, je la vis des hauteurs de la foi, je la vis un moment telle qu’elle est… comme la voient ceux qui voient tout dans la lumière.

Moment fugitif ! mais qui m’a laissé au plus profond de l’âme comme un éblouissement.

Oui, ceux-là sont bien les heureux, qui souffrent pour Dieu ! Je le vis, je le sentis. Dieu me fasse la grâce de ne l’oublier jamais.

Après la messe, je passai au parloir.

Il vint aussitôt, et, assis en face l’un de l’autre à la petite table, nous eûmes notre dernier entretien.

Ma force m’avait abandonnée en l’apercevant, ou, plutôt, en le regardant, tout mon cœur se brisait.

— Chère sœur, dit-il avec sa douceur incomparable, je vous en prie, ne pleurez pas ainsi. Où est votre foi ? Jésus-Christ ne peut-il pas tout adoucir ?… Croyez-vous qu’il abandonne ceux qui, pour l’amour de lui, ont tout quitté ?…

Il parlait avec un grand calme et, ce regard qu’il lève en haut, ce regard si particulier, si expressif, qui parle sans cesse d’un monde invisible, ne m’avait jamais paru si beau.