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évitée, quoi qu’on fasse, dans les jugements criminels, à quoi doit-elle être réduite, pour assurer à l’innocence la plus grande garantie possible ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre d’une manière générale. Selon Condorcet, la chance d’être condamné injustement pourrait être équivalente à celle d’un danger que nous jugeons assez petite pour ne pas même chercher à nous y soustraire dans les habitudes de la vie ; car, dit-il, la société a bien le droit, pour sa sûreté, d’exposer un de ses membres à un danger dont la chance lui est, pour ainsi dire, indifférente ; mais cette considération est beaucoup trop subtile dans une question aussi grave. Laplace donne une définition, bien plus propre à éclairer la question, de la chance d’erreur qu’on est forcé d’admettre dans les jugements en matière criminelle. Selon lui, cette probabilité doit être telle qu’il y ait plus de danger pour la sûreté publique, à l’acquittement d’un coupable, que de crainte de la condamnation d’un innocent ; comme il le dit expressément, c’est cette question, plutôt que la culpabilité même de l’accusé, que chaque juré est appelé à décider, à sa manière, d’après ses lumières et son opinion ; en sorte que l’erreur de son vote, soit qu’il condamne, soit qu’il absolve, peut provenir de deux causes différentes : ou de ce qu’il apprécie mal les preuves contraires ou favorables à l’accusé, ou de ce qu’il fixe trop haut ou trop bas la limite de la probabilité nécessaire à la condamnation. Non-seulement cette limite n’est pas la même pour toutes les personnes appelées à juger, mais elle change aussi avec la nature des accusations, et dépend même des circonstances où l’on se trouve : à l’armée, en présence de l’ennemi, et pour un crime d’espionnage, elle sera sans doute beaucoup moins élevée que dans les cas ordinaires.

» Les décisions des jurys se rapportent donc à l’opportunité des condamnations ou des acquittements : on rendrait le langage plus exact en substituant le mot condamnable, qui est toute la vérité, au mot coupable, qui avait besoin d’explication, et que nous continuerons d’employer pour nous conformer à l’usage. Ainsi, lorsque nous trouverons, que sur un très grand nombre de jugements, il y a une certaine proportion de condamnations erronées, il ne faudra pas entendre que cette proportion soit celle des condamnés innocents ; ce sera la proportion des condamnés qui l’ont été à une trop faible probabilité, non pas pour établir qu’ils sont plutôt coupables qu’innocents, mais pour que leur condamnation fût nécessaire à la sûreté publique. Déterminer parmi ces condamnés, le nombre de ceux qui réellement n’étaient pas coupables, ce n’est pas l’objet