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c’est à l’illustre auteur que je les aurais soumis, si je me fusse occupé de ce problème pendant sa vie : l’autorité de son nom m’en eût fait un devoir, que son amitié, dont je me glorifierai toujours, m’aurait rendu facile à remplir. On concevra sans peine que ce n’est qu’après de longues réflexions, que je me suis décidé à envisager la question sous un autre point de vue ; et l’on me permettra d’exposer, avant d’aller plus loin, les principales raisons qui m’ont déterminé à abandonner la dernière solution à laquelle Laplace s’était arrêté, et dont il avait inséré les résultats numériques dans l’Essai philosophique sur les Probabilités.

» La formule de Laplace, pour exprimer la probabilité de l’erreur d’un jugement, ne dépend que de la majorité à laquelle il a été prononcé, et du nombre total des juges ; elle ne renferme rien qui soit relatif à leurs connaissances plus ou moins étendues dans la matière qui leur a été soumise. Il s’ensuivrait donc que la probabilité de l’erreur d’une décision rendue par un jury, à la majorité de sept voix contre cinq, par exemple, serait la même, quelle que fût la classe de personnes où les douze jurés auraient été choisis ; conséquence qui me paraîtrait déjà suffisante pour qu’on fût fondé à ne point admettre la formule dont elle est déduite.

» Cette même formule suppose qu’avant la décision du jury, il n’y avait aucune présomption que l’accusé fût coupable ; en sorte que la probabilité plus ou moins grande de sa culpabilité, devrait se conclure uniquement de la décision qui serait rendue contre lui. Mais cela est encore inadmissible : l’accusé, quand il arrive à la cour d’assises, a déjà été l’objet d’un arrêt de prévention et d’un arrêt d’accusation, qui établissent contre lui une probabilité plus grande que , qu’il est coupable ; et certainement, personne n’hésiterait à parier, à jeu égal, plutôt pour sa culpabilité que pour son innocence. Or, les règles qui servent à remonter de la probabilité d’un événement observé à celle de sa cause, et qui sont la base de la théorie dont nous nous occupons, exigent que l’on ait égard à toute présomption antérieure à l’observation, lorsque l’on ne suppose pas, ou qu’on n’a pas démontré qu’il n’en existe aucune. Une telle présomption étant, au contraire, évidente dans les procédures criminelles, j’ai dû en tenir compte dans la solution du problème ; et l’on verra, en effet, qu’en en faisant abstraction, il serait impossible d’accorder les conséquences du calcul avec les résultats constants de l’observation. Cette présomption est semblable à celle qui a lieu en matière civile, lorsque l’un des plaideurs appelle d’un premier jugement devant une cour supérieure : il y paraît avec une pré-