même par la vallée du Danube un peu de poivre et d’encens ainsi que des étoffes arabes ou byzantines qu’achètent les Églises et les grands seigneurs, c’en est fait cependant de ce commerce maritime qui, avant la mainmise de l’Islam sur la Méditerranée, approvisionnait si largement l’Europe occidentale des produits de l’Orient[1]. Les dattes et les figues, qui étaient encore de consommation courante au viie siècle, n’ont certainement jamais paru sur la table de Charlemagne et de ses successeurs. Il est absolument impossible qu’on ait pu s’en procurer après 822 ni au marché de Cambrai ni à n’importe quel autre marché de la Francia. Force est donc bien d’antidater, en le reportant au moins jusqu’au commencement du viiie siècle, le texte inséré en appendice aux statuts d’Adalhard. Comme il est arrivé si souvent, le scribe l’aura transcrit sans s’inquiéter de ce qu’il ne correspondait plus en rien à l’état des choses de son temps.
Ce qui est vrai des épices l’est aussi du papyrus mentionné dans les dernières lignes du texte en question. Lui
- ↑ A. chaube, op. cit., p. 89, ne cite, pour établir l’existence du commerce d’Orient en Gaule au xe siècle, que notre texte corbien, le don d’étoffes de pourpre fait par un évêque d’Augsbourg au monastère de Saint-Gall en 908, et deux passages d’Ekkehard relatifs au même monastère. Il y ajoute le texte fréquemment cité du voyageur arabe Tartusi qui, au xe siècle (973), s’étonne de voir à Mayence quantité d’épices (G. Jacob, Ein arabischer Berichterstatter aus dem X Jahrhundert, p. 15). Tout cela s’explique par le colportage juif. Quand on pense que les Capitulaires ne citent pas une seule des épices dont l’usage était courant avant le viiie siècle, et qu’elles ne figurent jamais dans la littérature antérieure au xie siècle que comme des denrées de grand luxe, on ne peut s’empêcher de conclure qu’elles avaient disparu de l’alimentation et n’étaient donc plus un article du commerce normal. À l’époque mérovingienne au contraire, l’usage en était encore aussi généralement répandu qu’à la fin de l’Empire Romain. Je me réserve de revenir ailleurs sur ce fait essentiel de l’histoire économique. Je me bornerai à alléguer ici que le médecin grec Anthimus qui a vécu à la cour de Thierry I (511-534), y a écrit un traité des qualités digestives des aliments, qui suffirait à lui seul à prouver que les épices étaient alors un condiment aussi connu qu’indispensable. Voy. S. H. Weber, Anthimus. De observatio (sic) ciborum, Leide, 1924.