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HISTOIRES D’OURS

des-Monts, il n’y a que trois petites anses où l’on trouve de la grève ; partout ailleurs la falaise descend droit jusqu’à l’eau. J’étais justement en face de l’une de ces petites anses, occupé à prodiguer mes attentions à une bande de macreuses. J’en avais tué une femelle et les mâles persistaient à voltiger aux alentours, m’obligeant à changer mon fusil aussi promptement que possible, car c’était alors l’époque des fusils à baguette. J’avais tiré, je suppose, environ une douzaine de coups de suite, lorsqu’en regardant du côté de terre j’aperçus un ours qui s en allait cheminant sur la grève.

J’étais à environ une centaine de verges de là, mais il avait le pas sur moi, mes coups de fusil ne l’avaient pas apparemment effrayé. J’avais quelques plombs A dans un compartiment de mon sac à plombs, que j’emporte toujours avec moi à la chasse au canard, au cas où je rencontrerais un loup-marin. L’un des deux canons de mon fusil avait une charge de plomb No 4 ; je n’avais pas le temps de le vider ; je chargeai donc l’autre canon de plomb A. Empoignant à la hâte mes avirons, je lançai mon canot en avant de toute la vigueur de mes bras. Malgré qu’il n’eût pas paru m’avoir remarqué, avec l’allure indolente qu’il avait prise, il avançait presqu’aussi vite que je pouvais pagayer, et j'avais peu d’avance sur lui. Je jouais en désespéré de l’aviron pour raccourcir la distance, car il approchait du fond de la grève, alors que forcément il devait prendre le bois, incapable qu’il était de contourner l’escarpement de la falaise. Il fit exactement comme je m’y attendais.

J’étais alors à environ soixante-dix verges de lui et, sachant bien que c’était ma seule chance de faire un bon coup de fusil, je tirai juste au moment où il gagnait les broussailles en me présentant le flanc. Au bond qu’il exécuta, je supposai que je l’avais