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HISTOIRES D’OURS

Le bol fut placé devant le chef qui, après s’être servi et avoir absorbé à même la louche, la quantité qu’il désirait, passa le bol au plus haut dignitaire après lui ; il en fut ainsi jusqu’à l’autre extrémité de la table. S’il arrivait a quelque grand chasseur, je dirais plutôt grand mangeur, de se distinguer en buvant trois ou quatre louches pleines de graisse, c’était à tout coup une ronde d’applaudissements.

Le premier service terminé, le bol fut placé au milieu de la table et on enleva la cuiller.

Le deuxième plat se composa du cou et de la tête de l’ours rôtis à la broche avec la broche à même, qui servait à le faire passer à tour de rôle à chaque convive. Le tout fut planté en face du chef qui débita à son adresse une sorte de harangue. Il vanta la force et l’habilité de l’ours comme grimpeur d’arbres, ses facultés de résistance en tant que jeûneur, faisant ainsi allusion à ses habitudes d’hibernation, il lui adressa enfin tous les éloges qu’il pût imaginer.

Puis il saisit la broche, porta le rôti à ses lèvres, en prit une bouchée ou en détacha un morceau avec ses doigts, car il est entendu que le couteau ne doit pas toucher à cette pièce de résistance ; elle est sacrée. Tout ainsi que le bol de graisse, la pièce fit le tour, chacun en prenant, à sa fantaisie, un petit morceau ou une bouchée, mais pas davantage. Ce qui en resta fut alors jeté dans le feu et brûlé à la mémoire des absents, les chasseurs défunts.

Après ce deuxième service, chaque convive se trouve libre de se servir lui-même et, suivant son appétit, de se régaler de rôti, bouilli, ragoût et saucisson. On causa fort peu durant le banquet. Les dîneurs étaient venus là, non pas pour discourir, mais pour manger, et chaque exploit gastronomique était sûr de rencontrer l’approbation générale.