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CHARLES MOREAU

Le lendemain, sur le coup de midi, Charles déambulait dans le camp. Je le présentai à M. Gilmour puis on le confia à Rodgers, qui, subséquemment, nous fit le rapport suivant : Trois tranches de saumon, environ une livre et demie, une langue de bœuf pesant deux livres, environ deux livres de jambon cuit, avec pain et pommes de terre et cinq tasses de thé ; il avait bouffé le tout. Puis, comme dessert, un pot d’une livre de marmelade de Keiller fut placé devant lui. Il en mangea à peu près la moitié et, appelant Rodgers, il lui dit :

— Ça me fait ben d’la peine, je n’ai pas pu tout manger. J’aime pas ben ça, c’est trop amer.

Inutile de dire que la démonstration fut regardée comme concluante.

M. Gilmour avait toujours l’habitude de faire quelque menu cadeau aux sauvages qui lui rendaient visite. À cette occasion, il donna à Charles une paire de couvertures, en lui disant de plus qu’il espérait qu’il vivrait assez longtemps pour les user. Le rencontrant un jour ou deux après, je voulus le faire endever un peu à propos de son dîner.

— Eh bien ! lui dis-je, qu’est-ce qui n’allait pas, Charles, l’autre jour au camp ? Tu n’as fait que la moitié d’un repas ! Ils ont été bien contents de toi, mais ils ne savaient pas ce que tu peux faire parfois.

— Ben, fit-il, j’m’en vas t’dire ça. C’matin-là, j’avais une faim terrible, j’ai enduré jusqu’à neuf heures, et pis j’ai pris mon déjeuner avant de partir. J’espère que t’es pas fâché contre moi.

Le brave garçon avait toujours peur de faire quelque chose qui pourrait me déplaire.

On dit que les Indiens ne sont pas reconnaissants, mais, certes, chez lui, l’ingratitude, c’était loin d’être son défaut. La raison de l’amitié qu’il me portait,