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À TRAVERS LE SAINT-LAURENT

Je vis d’un seul coup d’œil que ce chenal d’eau libre s’obstruait rapidement, et avec mon aviron je leur signalai le danger. Ils étaient tellement occupés à la poursuite du loup-marin blessé qu’ils ne virent pas mes signaux. Pendant ce temps-là, la glace se rapprochait graduellement de l’espace libre et allait se refermer sur eux. Pour empirer la situation, le vent augmentait rapidement et faisait présager une tourmente. Un canot seul, emprisonné dans cette bouillie, c’était assurément la mort ; avec deux canots, il y avait chance d’en sortir.

Me tournant du côté de mon frère, je lui dis :

— Qu’est-ce que tu dirais, si nous allions leur aider ?

— Fais pour le mieux, me répondit-il.

Nous poussâmes une pointe de leur côté ; une minute après la glace se refermait derrière nous.

Les Labrie avaient finalement compris le danger où ils se trouvaient, et faisaient force de rames dans notre direction. Et la glace descendait toujours, élargissant le grand barrage derrière nous, pendant que le vent et le courant nous poussaient loin de la rive. Quand le canot nous rejoignit, l’espace d’eau libre était réduit à quelques cents verges, et, devant nous, s’était formé un barrage de frasil d’un quart de mille d’étendue. Quelques minutes plus tard, nous étions absolument cernés.

Ramer ou pagayer dans pareille bouette est une chose impossible. Lui canot s’y trouve collé et ne bouge plus, et, quoique, cette bouillie puisse varier de six ou sept pouces à plusieurs pieds en épaisseur, il n’y a pas moyen de s’y aventurer à pied. La seule façon d’avancer en pareils cas, est de faire mouvoir le canot à la manière que les chasseurs de loups-marins appellent ladder work, par échelonnements, ce qui s’opère comme suit : les quatre hommes se mettent