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écrevisses et la bière, et n’aimant pas moins, en Italie, les truffes à l’huile et les olives : appétit de voyageur et estomac cosmopolite. À Augsbourg, à Bâle, à Munich, il voit des professeurs, il cause avec des docteurs protestants. À Florence il dîne avec le grand-duc. À Rome, il voit le pape Grégoire XIII, les cardinaux, les représentants de toutes les puissances, les ambassadeurs même d’un État, alors peu connu en Europe, les ambassadeurs de la Russie. À Ferrare, il visite dans son cachot Le Tasse, qui s’était épris d’une belle passion pour une princesse souveraine et était devenu fou.

Voilà pourquoi, dans ses Essais, Montaigne connaît si bien les Italiens, et pourquoi aussi il parle tant des Allemands, de leurs mœurs, du trop-plein de l’Allemagne qui fait les invasions, de leurs eaux, et du vin qu’ils préfèrent à la bière et à l’eau. « L’essentiel pour eux, dit-il (p. 102, t. II, éd. Louandre) n’est pas le goûter, mais l’avaler ; et c’est étonnant comme, dans leur ivresse, ils se souviennent de tout, de leurs quartiers, du mot-d’ordre et de leur rang… Ils boivent toujours… Boire à la française, modérément et à deux repas, c’est trop restreindre la faveur de ce dieu. »

Montaigne fut élu maire de Bordeaux pendant ce voyage, et il fut un maire admirable, détournant ses concitoyens de la politique pour les appliquer au commerce. Mais on devine avec quelles dispositions d’esprit il rentra en France après deux ans de voyage, et quelle masse d’observations il rapporta sur les institutions et les lois, sur les races et les climats, sur les croyances et les religions, sur toutes les variétés physiques et morales de l’espèce humaine. Il devint plus pratique ; La Boëtie resta plus radical ; il était plus législateur, La Boétie était plus philosophe. Montaigne se rapprochait davantage d’un autre écrivain qui fut aussi, mais plus tard, du Parlement de Bordeaux ; il se rapprochait de Montesquieu, qui avait voyagé aussi, comme autrefois Platon, Lycurgue, Hérodote, et qui tirait des variétés physiologiques des peuples la diversité de leurs lois, au risque de trop attribuer au climat et à la nature, et de substituer une sorte de fatalisme à la libre expansion du génie. « Il n’y a pas une loi, dit Montaigne