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un martyr, et son neveu Octave un généreux vengeur. Les meurtriers, comblés de biens par lui, et l’un regardé comme son fils, ne furent plus que des monstres et des ingrats. Rien de plus aisé que de présenter ceux qui gouvernent comme des tyrans. Il y a tant de gens intéressés à le croire !

« Mais ce peuple, dit encore Michelet dans le même passage : ce peuple que vous voulez sauver, en invoquant le salus populi suprema lex ; ce peuple, si vous pouviez l’entendre, vous crierait bien haut, avec l’accent divin qui est en lui : périssent vos idées, périsse le peuple même, plutôt que l’humanité et la justice ! »

Heureusement, — et nous arrivons ici à l’opinion de La Boëtie sur les rois de France — le terrible Contr’un dément un peu ce qu’il nous donnait à entendre. Il ne met pas nos rois de France parmi les tyrans. « Il y en a, dit-il, qui, à l’instar des tyrans, se sont fait garder par des étrangers, mais à une autre intention : pour garder leurs sujets, n’estimant rien le dommage d’argent, pour épargner le sang des hommes. » Nulla unquam fulsit victoria Francis sine milite scoto ; c’est la traduction de ce dicton populaire. « Oui, ajoute-t-il, nos rois ont été si bons en temps de paix, si vaillants en temps de guerre, que, encore qu’ils naissent rois, si semble-t-il qu’ils aient été, non pas faits comme les autres par la nature, mais choisis par le Dieu tout-puissant, devant que de naître, pour le gouvernement et la garde de ce royaume. »

La Boëtie en dit beaucoup et semble se rétracter. Serait-il donc royaliste pour la France, républicain pour les autres pays ? Je crains que ces phrases ne soient une concession, une retouche, une prudente correction. La Boëtie préfère la république à la monarchie ; rien de plus certain, une république aristocratique et du petit nombre, comme à Venise, mais enfin la république, c’est-à-dire un État sans roi. Il l’insinue dans ce passage même, en disant : « ceux qui naissent rois ; » et ailleurs, par ces mots si sombres : « ceux qui naissent rois, étant nés et nourris dans le sang de la tyrannie, tirent à soi, avec le lait, la nature de tyran… »