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goût pour si bien qu’on l’apprête. » Admirables paroles, où se trouvent l’énergie et l’esprit, et qui rappellent celles du roi Jean le Bon, quand il alla se constituer prisonnier en Angleterre à la place de son fils évadé : « Si la loyauté et la bonne foi étaient bannies du reste de la terre, elles devraient se retrouver dans le cœur des rois. »

Quels sont donc ces hommes que la tyrannie ne peut abattre ni asservir ; qui imaginent la liberté, selon la belle expression de La Boëtie, quand on l’a détruite, et en conservent parmi les humains la notion pure et tutélaire ? « Ce sont quelques-uns, dit notre auteur, mieux nés que les autres, dont l’entendement est net et clairvoyant, qui sentent le poids du joug et ne peuvent tenir que de le crouler ; qui, ayant d’eux-mêmes la tête bien faite, l’ont encore polie par le savoir et l’étude. » Ce sont les Cicéron, les Caton, les Thraséas, les Demosthènes, les Phocion, tous ceux qui ont le cœur sain et l’âme grande, tous ceux qui composent l’aristocratie impérissable de l’intelligence et de l’éducation. « Les autres, et non pas les larronneaux, dit La Boëtie, ni les esorillés, c’est-à-dire ceux à qui la justice a fait couper les oreilles, et qui ne font ni bien ni mal dans la république. » Mais les vieux, les corrompus, les gens sans aveu, les âmes basses et vénales, les oisifs, ou ceux que le dégoût du travail pousse aux émeutes et que le vrai peuple maudit, « tous ces hommes, dit-il, ouverts aux grands plaisirs déshonnêtes, et insensibles à ce que honnêtement ils ne devraient souffrir, qui se prennent au moindre filet qui leur est tendu, et ne s’assujettissent jamais tant que lorsqu’on se moque d’eux ; ces hommes qui pleurèrent la mort de Néron, comme précédemment celle du dictateur César, ayant encore ses banquets à la bouche, et la souvenance de ses prodigalités dans l’esprit, et qui enfin ne demandaient que du pain et des jeux de cirque, panem et circenses ; » cette multitude, qui est la plaie de tous les régimes, des républiques comme des monarchies, et qui souvent a le nombre pour elle, La Boëtie n’a pas assez d’expressions pour la stigmatiser et la flétrir. Il n’est pas pour les dernières couches ; il les accable